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dimanche 8 mars 2015

Dr Edgar Mitchell et ses Souvenirs de Roswell : Faux-Souvenirs, Arguments d’Autorité et Falsification Rétrospective ?



Ce billet est une traduction (non-littérale et libre) d'un article originalement en Anglais du site Blue Blurry Lines avec quelques ajouts personnels, avec l'aimable autorisation de l'auteur, Curt Collins.


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Roswell a tout, en effet, de ce que l’on nomme une falsification rétrospective (D.H. Rawcliffe), c’est à dire une histoire où, à partir d’une situation ordinaire, certains mécanismes psychologiques et sociologiques sont mis en œuvre et font que l’on commence à raconter des faits extraordinaires, qui sont repris ultérieurement avec des embellissements et des élaborations ultérieures de telle façon que, seuls, les points en faveur de l’extraordinaire sont mis en avant, tandis que les points ordinaires sont laissés de côté. C’est la version sensationnelle qui reste mémorisée, renforçant la croyance ou l’opinion qu’il s’agit d’une affaire extraordinaire.
La falsification rétrospective agit comme un processus consistant à raconter une histoire extraordinaire à partir de certains faits ordinaires, mais que l’on déforme ou que l’on embellit dans le temps. Les embellissements comprennent des spéculations, des amalgames avec des événements survenus à des moments ou dans des lieux différents, mais également l’incorporation de matériels à l’histoire issus de la culture ambiante (légendes urbaines, livres, films, entretien guidé consciemment ou non, etc.) sans tenir compte de leur exactitude ou de leur plausibilité. On invente de façon consciente ou inconsciente des éléments qui correspondent au résultat souhaité. L’histoire originale et ordinaire se remodèle avec des points extraordinaires mis en valeur, tandis que les points défavorables et ordinaires sont abandonnés. La version déformée (et fausse) devient un faux souvenir (annexe 17) d’autant plus que les acteurs sont auto-renforcés dans leur croyance par d’autres éléments : nouvelles interviews guidées consciemment ou non, partage de la même opinion avec d’autres, etc.  Fernandez (2010): Roswell : Rencontre du Premier Mythe, p.160.

Au mieux, pour valider la crédibilité d’un témoignage dans cette affaire [Roswell], on a l’argument d’autorité
Celui-ci consiste à présenter les témoins comme de bonne foi et crédibles du simple fait de leur profession, de leur niveau d’étude ou autre caractéristique jugée a priori positive. Ce biais psychologique, bien documenté en psychologie cognitive produit des effets dits de halo. Il s’agit de la tendance qu’ont les individus en présence d’une caractéristique jugée positive à propos d’une personne ou d’un groupe, voire d’une marque, à rendre plus positive toutes ou partie des autres caractéristiques de cette personne, opinions, propos, déclarations, parfois même sans les connaître à l’avance. Ainsi, le statut social, la notoriété d’une personne ou toute caractéristique positive, accréditent d’autres caractéristiques, comme la véracité et la crédibilité d’un témoignage, et ce de façon biaisée. (Ibid, p.12).

Faux souvenir (false memory) : terme de psychologie cognitive désignant la création de souvenirs erronés que le sujet tiendra pourtant pour vrais et tout en étant de bonne foi
Biais de rétrospection (retrospection bias) : biais de mémoire consistant à conformer son souvenir aux jugements, attitudes, évaluations, conceptions, opinions, croyances ou états de(s) observateur(s) au moment de la remémoration. Là encore, par conformisme et suggestion, le souvenir initial est contaminé sociopsychologiquement de façon consciente ou inconsciente.
Erreur d’attribution (attribution error) : erreur consistant à attribuer à un souvenir une mauvaise source d’information, et non la source réelle.
Suggestibilité (suggestibility) : on parle de suggestibilité de la mémoire lorsque le sujet intègre dans ses souvenirs des éléments erronés provenant de sources externes comme la culture ambiante, d’autres personnes, les affirmations de ses parents, etc... (Ibid, p.221-222).

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Les Souvenirs de Dr. Edgar Mitchell concernant Roswell




Dr. Edgar Mitchell à propos des Extra-Terrestres et leurs vaisseaux :"Les ExtraTerrestres sont réels".


Une importante distinction - Oui ? - par le célèbre S. Friedman, le physicien nucléaire [argument/appel à l'autorité]. Il utilise le terme "soucoupes volantes" pour désigner des "vaisseaux spatiaux extraterrestres contrôlés de façon intelligente".




Une quantité véritablement énorme de choses a été écrite à propos des soucoupes volantes. Certaines personnes ne veulent même pas que j'utilise le terme, mais je l'utilise pour faire une distinction importante : les soucoupes volantes sont, par définition, des objets volants non-identifiés, mais vraiment très peu d'objets volants non-identifiés sont des soucoupes volantes (A Scientist Investigates the Mysteries of UFOs: Interstellar Travel, Crashes, and Government Cover-Ups, 2008).
Conception d'artiste de 1947 d'une "soucoupe volante".

Mais "soucoupe volante" n'a pas toujours eu ce sens. Ce n'est qu'après (notamment) l'article et le livre de Donald Keyhoe, les soucoupes volantes sont réelles, et les films de science-fiction des années 1950, que le terme va avoir une association sémantique directe avec "vaisseau spatial". Pour cette raison, le terme objet volant non identifié ou OVNI (UFO en Anglais) a été utilisé par l'USAF pour éviter l'association automatique avec engin extraterrestre (mais ce terme également en est devenu à être associé directement avec vaisseau spatial).

A titre d'illustration, je vous invite à écouter l'émission suivante : Pastille de Mendax - le mot OVNI.

En 1947, quand un journal écrit  "soucoupe volante", il mettait simplement une étiquette sur un "mystère". Des vaiseaux d'autres planètes ont été mentionnés par quelques-uns, mais surtout pour blaguer (allusions à Flash Gordon et Buck Rogers). A cette époque, beaucoup pensaient que la réponse aux soucoupes volantes était des anomalies atmosphériques ou des avions militaires secrets d'origine américaine ou soviétique (voir par exemple mon précèdent billet consacré, A propos de documents déclassifiés et Roswell).

C'est seulement à partir de notre point de vue de contemporains que les titres d'hier (de journaux de 1947 ici) mentionnant "soucoupes volantes" semblent dire "engin extraterrestre".
Certains jeux consistent à ce que des gens se passent une phrase chuchotée entre eux afin de voir comment l'histoire change. Ceci est une bonne illustration ou analogie de comment les histoires changent même quand il n'y a aucune intention d'exagérer ou de fabriquer. La traduction d'une histoire d'une langue à une autre peut involontairement fausser les détails, mais simplement paraphraser dans une même langue suffit à produire le même effet, et surtout quand ceci se fait mémoriellement de nombreuses années plus tard.

La signification de soucoupe volante est-elle le produit de la mémoire collective et s’est-elle construite petit à petit ? Comment le vérifier et, de là, éviter tout ethnocentrisme sémantique ?
Nous entendons par ethnocentrisme sémantique, la tendance que l’on aurait à privilégier les représentations sémantiques ou sociales associées aujourd’hui aux termes  soucoupes volantes, disques volants et les tenir ainsi pour les contemporains d’hier, ceux de la période juin-juillet 1947. L'acception de disque ou  soucoupe volante à cette période peut en fait ne pas être la même qu'aujourd'hui et ne pas renvoyer aux mêmes associations d'idées que l'on peut faire maintenant : extraterrestre, véhicule d'êtres venant de planètes lointaines, vaisseau habité, voyageurs d'autres dimensions ou même venant du futur, etc.
Cette méthode (la contextualisation en Histoire) agit comme une force de rappel à l’ordre dans le raisonnement pour vérifier si celui-ci est allé trop loin ou non dans la mauvaise interprétation. En effet, en sciences sociales, le raisonnement doit composer une chaîne d’assertions qui doivent être sociologiquement descriptives : c’est à dire que ce raisonnement doit produire des assertions devant rester historiquement signifiantes, car le but fixé est justement de comprendre l'évènement au moment où celui-ci se produit pour ses contemporains. Or, l’histoire ou la sociologie montrent qu’un même événement a tendance à devenir contextuellement hétérogène, historiquement non signifiant, parce qu’il a été réinterprété, mis dans le contexte des contemporains d’après, amenant donc une erreur de raisonnement.
En d’autres termes, la compréhension d’un événement historique passe d’abord par sa contextualisation, c’est à dire par un repositionnement permettant un recul suffisant, mais indispensable, afin de se mettre dans la peau des contemporains de l’évènement. (Fernandez (2010), Ibid, p.19).

Edgar Mitchell, un témoin des journaux de 1947 ? Non, pas vraiment !




Edgar Mitchell dans la préface de l'édition de 2009 du best-seller "Witness to Roswell" :
Je m'apprêtais à commencer ma dernière année à l'école secondaire à l'été 1947 lorsque le Roswell Daily Record, le 8 Juillet a annoncé la récupération d'un vaisseau spatial extraterrestre qui s'était écrasé sur un ranch au nord-ouest de Roswell.



En réalité, le journal n'a jamais annoncé une telle nouvelle ! Le titre annonce "la Base Aérienne de Roswell capture une soucoupe volante sur un Ranch dans la Région de Roswell" . Le corps de texte de l'article ne caractérise en aucun cas l'objet comme un engin spatial, extraterrestre ou autre...
A quoi renvoyaient les termes soucoupe volante ou disque volant dans ce contexte ? A des engins extraterrestres ou bien à tout autre chose sur quoi on a agi et pensé dans un certain contexte sémantique et social ?
Peut-on alors poser une grille de lecture du cas Roswell, où la manière d'agir des différents protagonistes consiste en la conviction ou en la possibilité, légitimes, d'avoir capturé une soucoupe volante ou un disque volant ?
Ces protagonistes témoignent, rapportent, agissent ou pensent sur des choses qu’ils ont vues - quels qu’en soient les stimuli réels -, mais peut-être surtout sur des choses dont on parle désormais. Ils rapportent, légitimement, ce qui peut s’apparenter, désormais, à ces trucs dont on parle.
Quand l’enquêteur se demande comment diable ces protagonistes ont-ils pu prendre des débris prosaïques, même insolites, pour un engin extraterrestre, si cela n’en était pas un ?  cela ne correspond pas à une méprise des témoins dans le contexte de l’époque. C’est l’enquêteur qui est victime de méprise en pensant ainsi. (Fernandez, 2010, Ibid, p.23).
Le 25 juillet 2008, Edgar Mitchell apparaît au cours de l'émission BlogTalkRadio’s ShapeShifting, de Lisa Bonnice.

Eh bien, que le crash d'un vaisseau spatial extraterrestre dans la région de Roswell était un véritable événement et qu'une grande partie du folklore, je ne peux pas dire la totalité du folklore, mais l'essentiel, le fait que des cadavres ont été récupérés et des êtres vivants ont été récupérés, qui n'étaient pas de ce monde, c'était l'histoire. Et bien sûr, cela a été publié dans le Roswell Daily Record un jour et rapidement nié le lendemain et il a été prétendu que c'était un ballon météo et c'était une pure absurdité. C'était une dissimulation.

Dans la vidéo suivante, Edgar Mitchell affirme qu'il a entendu les histoires concernant les corps extraterrestres, mais il admet que ce n'est qu'après 1980, alors que le premier livre sur Roswell a été publié...


Dans le clip suivant du très controversé, sinon canuleur, Jaime Maussan, Edgar Mitchell affirme que les journaux d'époque avaient publié des histoires à propos d'un crash d'un engin spatial extraterrestre à Roswell et que des corps furent récupérés. Comme déjà montré précèdement, l'histoire ne concernait qu'une "soucoupe volante", terme à contextualiser...
Je l'ai lu dans le journal. Un jour, le jour où la nouvelle est arrivée jusqu'au journal, c'était qu'un vaisseau spatial extraterrestre s'était écrasé et que les corps avaient été récupérés et le lendemain, grâce à l'Air Force et l'armée, ils ont étouffé l'affaire et ils ont dit, non, c'était un ballon météo.


Dans les journaux d'époque de la Vague de 1947, il est très rarement fait mention d'occupants concernant les "soucoupes volantes" :
       Sur tous les cas de l’étude de Bloecher (853) sur la vague de 1947, deux indiquent explicitement une croyance en une origine extraterrestre. Aucun témoignage ne rapporte ou n'évoque durant la vague de 1947, de faisceaux lumineux tronqués, de gaz paralysants, lévitation de personnes ou d'objets, dématérialisations. Il n'y a pas d'arrêt des moteurs d'automobile et autres détails de science-fiction. 

Très rarement sont évoquées des entités qui seraient des occupants des objets. Quelles sont leurs caractéristiques ? Celles-ci évoluent-elles dans une boucle de rétroactions entre (autres) la culture ambiante et ce qui est témoigné ?
On trouve en effet « trois rencontres » d’entités en 1947, avec respectivement décrits, «  des petits gens  » (little people - July 7 - Tacoma, Washington) ; « un petit homme, de 60 cm avec une tête de la taille d’un ballon de basket  » (a little man, two feet tall, and with a head the size of a basket ball - July 8 - Houston, Texas) ; et «  un étrange petit homme  » (strange little men - July 9 - Nashville, Tennessee). Étant donné la norme ou le biais de taille des objets (des soucoupes, littéralement), ces "pilotes" sont en adéquation avec les objets. (Fernandez, 2010, Ibid, p.35-36).

Certes, Edgar Mitchell a vécu à Roswell à l'époque, mais il ne semble avoir eu aucune expérience directe avec les événements allégués. Toutes ses informations sur les événements semblent provenir des histoires des autres. Combinant sa mémoire de la couverture de journal avec la définition moderne de soucoupe volante, quand il raconte son expérience, même s'il est sincère, il est dans l'erreur.

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