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mercredi 12 décembre 2012

Pour une Hypothèse et une Approche Culturelle, Sociopsychologique, Réductionniste et Composite de la Vague d'Airships de 1896-1897 (Première Partie)

Dessin illustrant un article dans le journal Américain The Chicago Times-Herald, édition du 12 avril 1897.

Ce billet est la résultante de discussions sur le forum UFO-Scepticisme, privées ou publiques, et qu'il se propose de résumer, en y ajoutant des éléments personnels. En ce sens, même si ce résumé n'engage que moi, il n'aurait pas été rendu possible sans les réflexions et les trouvailles de certains membres du forum, principalement Dominique Caudron et "Nablator" et qui leur reviennent donc.


Introduction :

La première et sans doute la plus célèbre des grandes vagues d'observations dites d'airships a eu lieu en 1896-1897. Le terme airship signifie en Français dirigeable, et le terme vague d'airships sert à désigner ces observations d'engins volants qui étaient témoignés comme ayant la forme de dirigeables ou encore de ballons.

La problématique pour le chercheur est ici la suivante : il existe des témoignages d'observations de tels engins à une époque où, jusqu'à preuve historiographique du contraire, de telles réalisations manufacturées ayant volé de façon concomitante en temps et lieu de ces évènement sont inconnues de l'Histoire de l'aéronautique. En d'autres termes, il n'existe aucune preuve historique de la réalisation et du vol d'engins contemporains pouvant correspondre à ce qui est allégué comme ayant été observé. Le matériel historiographique relatant de telles observations en 1896/97 est celui des journaux et gazettes de l'époque. 
A ce titre, un premier rapprochement "sautant aux yeux" pour l'UFO-sceptique peut-être fait avec la vague d'OVNI de 1947 : on s'aperçoit ici encore que c'est la presse qui enregistre ces témoignages à cette époque, et ce sur des centaines d'articles.

  
La Vague et la Problématique : Un Défi pour le Chercheur.

Même s'il on lit ici ou là qu'il y aurait eu des observations antérieures ponctuelles, l'observation princeps qui déclencha la vague et le premier "gros" article consacré, est celle du 17 novembre 1896, aux alentours de 18 heures ou de 19 heures. Une lumière aurait survolé la ville de Sacramento en Californie, des centaines (soi-disant) de personnes l'auraient observée et la forme serait celle d'un dirigeable, ou encore "en forme d'oeuf" ou "de cigare" ("egg-shaped"; "cigar-shaped"). Le détail majeur, récurrent et important pour la suite semble être celui de la présence d'un projecteur
La seconde observation "majeure", princeps et importante pour la vague est celle d'Oakland, toujours en Californie et cette fois-ci trois jours plus tard, le 20 novembre 1896. Là encore, il est question d'un dirigeable et de projecteurs (à l'avant, mais aussi sur le "ventre" du potentiel dirigeable). Un autre cigare aurait été vu deux jours plus tard, le 22 novembre et là encore à Oakland. Une fois la nouvelle véhiculée par la Presse, c'est dans une vingtaine d’États que seront témoignées des centaines d'observations, toujours dans les journaux donc.
Or, ce n'est qu'en 1897 et en Europe que les premiers dirigeables ont tenté ou ont réussi à voler dans l'histoire de l'aéronautique (domaine largement sourcé et étudié). Le consensus "encyclopédique" reste que l'Autrichien David Schwartz serait le premier à avoir fait voler un dirigeable le 3 novembre 1897 (même si le vol se solda par un crash). A noter que selon cette source, son dirigeable était prêt dès septembre 1896, et un essai était prévu le 27. Or, suite à l'impossibilité de l’Empereur d'Autriche à venir pour la démonstration, l'essai fut annulé. Mais, le 8 octobre 1896, le dirigeable avait été "dressé" en extérieur et maintenu par des câbles et un test sans public était prévu. La qualité de l'hydrogène n'était pas satisfaisante, cependant. Mais, quoique maintenu à l'aide de câbles, il aurait été possible de manœuvrer l'engin, sa machinerie ayant été mise en marche. Dans un article de journal d'Ozbor, on trouve :
Yesterday, on Thursday, October 8th 1896, Schwarz's airship managed to lift only a few metres above the ground, while the soldiers were holding it with ropes. It is said that the gas used in the airship was bad, and thus the airship could not perform as expected. It was decided that the airship would be filled once again with good gas and tested.




Essai de vol du dirigeable de Schwartz, le 3 Novembre 1897, à prise à Tempelhof (Allemagne).

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Si nous étions en mesure de lancer des pistes "prometteuses" et de trouver de quoi probablement expliquer conventionnement ces deux observations princeps de Sacramento et d'Oackland, il serait hautement plus probable que les suivantes découleraient de stimuli de même(s) nature(s), ou encore comme étant le produit d'une contagion psychosociale ou de masse (+ d'autres variables que nous pourrions ajouter alors).
On parle plutôt de mass delusion en Anglais - et non de contagion psychosociale - suite et notamment aux travaux du sociologue australien Robert E. Bartholomew et du professeur (Emeritus) américain Erich Goode.
Quelques cas où la contagion psychosociale s'appliquerait sont présentés dans un article en ligne du Skeptical Enquirer de 2000 sur le site du Commitee for Skeptical Inquiry, article proposant une bibiographie non-exhaustive. On peut encore écouter le sociologue Bartholomew à propos des contagions psychosociales en audio et en ligne. A noter que le terme hystérie collective ou de masse et celui de contagion psychosociale/délire de masse (mass delusion) doivent être bien discriminés l'un de l'autre, si vous lisez l'article du Skeptical Enquirer -. En effet, et pour faire court, l'hystérie (collective ou de masse) implique des symptômes physiques, psychosomatiques ou physiologiques - par exemple des vomissements - et elle se produit dans des espaces relativement confinés et au sein de groupes dits restreints en sciences sociales - par exemple dans des cliniques/hôpitaux, au sein de l'école, comme dans une classe - etc. Ce que la contagion psychosociale n'implique pas forcément.
Bartholomew a écrit différents ouvrages comme Panic Attacks, the History of Mass Delusion, Outbreak!: The Encyclopedia of Extraordinary Social Behavior, Little Green Men, Meoving Nuns and Head-hunting Panics: a Study of Mass Psychogenic Illness and Social Delusion pour ceux d'entre vous qui désireraient aller plus loin sur ce concept des sciences sociales de contagion psychosociale.
Robert E. Bartholomew lui-même et Stephen Whalen ont d'ailleurs écrit un court article consacré aux "mystérieux" dirigeables, mais concernant plus spécifiquement la vague de 1909, que je vous propose de lire, intitulé The Great New England Airship Hoax of 1909 .



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La Thèse des Ufologues" pro-visitations extra-terrestres et autres Défenseurs de Phénomènes "Fortéens" : quelques Remarques critiques.

Étant donné le caractère "anachronique" ou "avant l'heure" des engins allégués - des dirigeables -, la vague d'observations a presque naturellement été un objet d'étude pour ceux des investigateurs défendant des hypothèses "extraordinaires", comme la visite d'engins extraterrestres, de visiteurs multi-dimensionnels, celle de voyageurs du temps, du fruit d'une intelligence ou d'un agent externe manipulateur, etc.

Notons tout d'abord que l'hypothèse extraterrestre a été évoquée dans de très rares articles de journaux d'époque. Certaines ont été recensées dans au moins trois ouvrages (merci à "Nablator" pour ces références) pour montrer cela.
Dans l'ouvrage de Gregory L. Reece (2007), UFO Religion - Inside Flying Saucer Cults and Culture (p.10-11), il est cité l'édition du 19 novembre 1896 (2 jours après l'observation princeps de Sacramento) du Stockton Evening Mail (Californie à nouveau), que Reece tire lui-même du livre de Daniel Cohen, The Great Airship Mystery: A UFO of the 1890s (1981) et de Wallace O. Chariton, The Great Texas Airship Mystery (1991). Dans l'édition, il est rapporté qu'un Colonel, H. G. Shaw, raconte avoir vu un engin au sol, avec trois petits occupants qui tentèrent d'emmener de force le Colonel avec eux, mais échouèrent car ils n'étaient pas assez forts. L'engin décolla ensuite après que ses occupants aient couru à son bord. Shaw aurait exprimé son opinion que, pour lui, les êtres venaient de Mars. 
Le même ouvrage rapporte un article du 10 avril 1897 du St. Louis Post-Dispatch à propos d'une autre rencontre rapprochée, cette fois-ci avec des êtres parfaitement humains, un homme et une très belle femme, nus tous les deux, selon le témoin, W. H. Hopkins. Lequel aurait tenté un contact à l'aide de gestes et de signes et, suite à ses efforts, un des occupants prononça quelque chose qui ressemblait au mot "Mars" (cet exemple, cité par Reece - 2007 - est tiré de Cohen -1981 - pp.59–60). Il existe d'autres exemples, où, dès 1896, l'hypothèse extraterrestre était évoquée dans les journaux et gazettes.

Des thèses "extraordinaires" à propos de la vague d'airships de 1896-1897 ne manquent pas en ufologie. Dans l'Hexagone, un des défenseurs de celles-ci est Jean Sider, par exemple dans cet article en ligne, que je vous propose donc à la lecture, et intitulé L'airship de 1897.

Aussi, d'autres hypothèses "plus complexes" ont été proposées : un texte de l'ufologue Suisse Fabrice Bonvin en résume la teneur et mérite le détour pour au moins saisir le type d'hypothèse "fortéenne" défendue. "Plus complexe", écrivais-je, en ce sens que vous pouvez y lire que ce genre de thèse fait appel au mimétisme et à l'élusivité de visiteurs ou d'entités externes. Pour résumer cette approche, on peut dire sans trahir l'auteur, je crois, qu'il est proche de concepts proposés par Jacques Vallée ou encore John Keel : on attribue ici l'origine de ces vagues ou de certains phénomènes "anomalistiques" à une intelligence omnisciente ayant un caractère manipulateur ou trompeur. Cette intelligence pourrait être également un moyen utilisé par Gaïa ou d'une autre entité "like" afin de susciter un changement au sein de notre espèce intelligente en vue d'un objectif de nature écologique, visant principalement à la conservation de la vie. Séduisant !

Parmi les éléments avancés pour exclure toute explication conventionnelle et/ou de nature sociopsychologique ou culturelle à propos de la vague d'Airships de 1896-1897, on peut citer d'abord l'argument d'un réseau de communication insuffisant et d'une alphabétisation trop faible à l'époque pour permettre une contagion psychosociale par la presse et les autres réseaux. Ainsi et à ce titre, l'auteur du second article écrit :
La pénétration insuffisante du réseau de communication et le faible taux d’alphabétisation de 1897 excluent une propagation partagée de la représentation consciente du dirigeable fantôme au sein d’une population essentiellement rural.
Dominique Caudron, par exemple, ne considère pas cet argument comme valide, ni historique, et il oppose à cela au moins trois points particulièrement pertinents. Le premier est que, quelle que soit la publication, ceux qui, eux, savaient lire, faisaient la lecture à ceux qui ne savaient pas. Le second, découlant du premier, serait que quand bien même 10 % de la population savait lire, il n'y a jamais que quelques dizaines de témoignages à la fois, voire moins, et ceux qui connaissent la rumeur dans les journaux, peuvent la répéter oralement, se faisant alors acteurs et véhicules de la contagion.
A propos de l'argument des moyens réduits de communication, Dominique Caudron objecte, éléments à l'appui, que les journaux disposaient à l'époque du télégraphe (c'est l'ère des chemins de fer et du télégraphe - depuis plus d'un demi-siècle -). Le téléphone est inventé depuis une vingtaine d'années. Justement et historiographiquement, parmi les éléments appuyant sa réflexion, remarque-t-il, l'un des premiers articles d'une des observations princeps de la vague que nous avons mentionnées, celle d'Oakland, en témoigne. En effet, le San Francisco Call du 22 novembre 1896  (p.13) permet de bien mesurer, et pour un seul exemple, la communication de cette époque (l'article est reproduit plus loin) : on y apprend que certains témoins ont téléphoné au journal...

Un autre argument proposé pour montrer que la vague d'airships résisterait à toute possibilité ou explication sociopsychologique est la suivante. Citons à nouveau Fabrice Bonvin :
Pour rendre compte de l’apparence des dirigeables fantômes, certains chercheurs ont avancé des concepts empruntés à la psychologie. Ainsi, les témoins auraient observé des stimuli visuels inexpliqués que leur cerveau n’aurait pas réussi à traiter convenablement. Sujets à une « insuffisance cognitive », il auraient alors projeté sur ces stimuli inconnus leurs représentations conscientes et inconscientes. Ce serait la « transformation projective », qui expliquerait la forme prise par ces « dirigeables ». Cette tentative, comme je l’ai démontré dans mon ouvrage OVNIS : Les Agents du Changement, ne résiste pas à l’analyse. D’abord, parce que le concept d’ « insuffisance cognitive » est loin d’avoir été prouvé.
Je me suis déjà exprimé à ce propos dans un billet précèdent.  A suivre l'auteur (même si je n'ai pas lu le livre en question), tout le pan de la psychologie cognitive (psychologie de la perception) initié par Ramskov, Neiser, Gibson, etc, à propos des processus dirigés par les concepts (concept driven processing) ou les problématiques de désambiguïsation cognitive n'existent pas. Pourtant, des résultats sont clairement montrés expérimentalement à ce sujet : "si un stimulus est présenté rapidement, fugacement, s'il est ambigu, incertain ou encore flou, voire nouveau, la perception devient "top-down" (dirigées par les concepts)". De plus, il existe des cas nombreux dans la casuistique ufologique, où un stimulus prosaïque a été "soucoupisé". Comme souvent en ufologie, on fait souvent comme si ceux-ci ne nous apportaient rien. Or, ils démontrent clairement que l'on peut "projeter" consciemment ou inconsciemment des concepts sur un stimulus que l'on a pas réussi à identifier sur le moment. A nouveau, par exemple et seulement, et concernant l'ufologie, il suffit de lire les descriptions, les récits et témoignages de ré-entrées atmosphériques, par exemple pour Zond IV le 3 mars 1968 : par exemple, sur un échantillon de trente rapports, 12 décrivent un objet en forme de cigare, de fusée ou de "soucoupe", 3 rapportent des fenêtres ou hublots. Ou encore un témoin déclare : s'il y avait eu quelqu'un dans l'OVNI près des fenêtes/hublots, je l'aurais vu ;  ou encore, un autre, il apparaissait comme ayant plutôt des fenêtres/hublots carré(e)s tout le long qui faisait face à nous.. Il apparaissait pour moi que le fuselage était construit de plusieurs feuilles plates ... qui semblaient rivetées les unes aux autres... Les nombreuses «fenêtres» semblaient être illuminées de l'intérieur. Egalement encore chez un autre témoin, [Il pourrait être comparé à une] soucoupe inversée ordinaire sans protrusion sur le dessus ; chez un autre observateur, Ils volaient en formation militaire parfaite ; Voici pour quelques exemples de transformations et d'élaborations projectives à partir d'un stimulus prosaïque rare - la ré-entrée de Zond IV. Voir également notre billet précèdent consacré au cas de Yukon (1996).

Comment cet ufologue rend-t-il compte des cas de méprises avec "soucoupisation" de stimuli prosaïques, mais non-identifiés, qui fourmillent pourtant dans la casuistique, si de tels processus cognitifs d'élaboration ou de transformation projectives n'existent pas selon lui ? Je serais bien curieux de le savoir...

Au contraire en effet, il est démontré clairement en psychologie cognitive que nos intérêts, nos dispositions et attitudes ont un effet direct sur notre perception : une large part de ce qui est perçu est en fait principalement déduit. Nous tendons à voir (ou à entendre) ce que nous nous attendons à voir (ou à entendre).
Elizabeth Loftus montre également - en s’appuyant sur un large corpus expérimental - qu'il existe quatre types d'attentes influant la perception  (voir le billet précèdent). Au total, dire, finalement, que des élaborations ou des transformations projectives - les processus top-down - n'existent pas ou ne sont pas prouvées expérimentalement en psychologie cognitive, pendant la perception ou après (par exemple pendant la remémoration), est fallacieux. 

Quelques exemples de récits d'OVNI tirés de Paolo Toselli, L'examen des cas d'objets volants identifiés (OVI) : le facteur humain, dans OVNI : vers une anthropologie d'un mythe contemporain (ouvrage dirigé par mon ami Thierry Pinvidic). Notons qu'un prochain billet sera consacré à illustrer les processus cognitifs qui peuvent rendre compte de ce qui est mis en œuvre par les témoins d'un stimulus qu'ils n'identifient pas, processus expliquant pourquoi certains stimuli conventionnels sont alors "soucoupisés" (de façon légitime) et ce grâce aux enseignements des recherches en psychologie cognitive expérimentale.

J'ai vu une lumière très brillante... A une altitude de 1000 à 1500 mètres, je ne puis préciser car il faisait nuit. C'était une grande lumière, un peu plus petite que la Lune, mais argentée, avec d'étranges faisceaux... Elle me laissa une impression... Que je ne puis décrire. Ce n'était pas de la peur, au contraire, je pensais... je pense qu'il s'agissait d'un objet... Je l'ai observé durant environ 15 minutes... C'était immobile... à 17h45, j'ai levé la tête et je l'ai vu. A 18 heures, il n'était plus là. Il faisait sombre et nuageux.

Viguzzolo, Allessandria, Italie, 16/12/1978).

L'objet s'était légèrement déplacé, il apparaissait plus gros que la pleine Lune et occupait un quart de la fenêtre. Maintenant, il semblait se diriger vers elle (le témoin), et s'assombrissait pour devenir orangé. Elle observa l'objet pendant bien plus d'une heure avant qu'il paraisse s'éloigner. A ce stade, elle déclare avoir vu la silhouette de deux ombres sur le côté de l'objet. Ils étaient comme des soldats de plomb et se déplaçaient devant l'objet. Ils disparurent de la vue du témoin et l'objet continua de s'éloigner.
(Flying Saucer Review , 23, n°1 p.9) observation du 31/12/1976.

La soucoupe nous a suivis pendant dix kilomètres. Elle volait en rase-mottes à environ 150 mètres de nous et sa lueur se reflétait dans les glaces de ma voiture, à tel point que M.D. ouvrit la portière pour mieux se rendre compte... Après Rumpéré, la boule écarlate se dirigea sur le hameau de Septenville... A ce moment là, nous avons eu l'impression que "la soucoupe" piquait vers nous et j'ai eu très peur. Je continuais à rouler dans un état de surexcitation indescriptible... A la sortie de Pierregot, je me suis arrêtée... La "soucoupe", qui avait contourné le village, nous attendait et faisait du sur-place, puis elle s'éloigna comme je redémarrais. Elle se mit à tourner en spirale pendant trois ou quatre cents mètres et le "champignon" changea de forme pour prendre celle d'un croissant allongé jusqu'à Rainneville... A ce moment, la "soucoupe" accentua sa giration, puis elle s'éloigna en direction de l'ouest d'Amiens pour se perdre dans l'infini en l'espace de quelques secondes à une vitesse incomparable...
(Dominique Caudron Requiem pour un zig-zag, Recherches Ufologiques, Bulletin de GNEOVNI, n°6, juillet-décembre 1978). Observation datée du 3 octobre 1954, d'Herissart à Amiens (Somme), France.
Pour ses trois cas de "soucoupes volantes", la Lune était le stimulus.

Nous avons également indiqué, dans un billet précèdent, les protocoles expérimentaux et directement liés à l'ufologie par le sociologue et géographe Edgar Wunder montrant de tels processus à l’œuvre. Très récemment, un pilote émérite de l'USAF, Steve Lunquist, a livré son témoignage d'un vol où il avait pris un stimulus céleste -Vénus- pour "un engin" défiant les technologie aéronautiques modernes.
Enfin, ajoutons que Paolo Toselli, dans le chapitre et l'ouvrage précédemment cités, ainsi que Ronald Westrum dans un chapitre titré justement Le facteur humain dans les observations d'OVNI  (même ouvrage) ont listé et se sont largement appuyés sur nombre de concepts et de recherches en psychologie cognitive pour tenter d'expliquer ce qui se produit en terme de processus cognitifs à propos de stimuli prosaïques que des témoins "soucoupisent", coupant court l'argument de l'ufologue Suisse.

***


Les explications de la vague d'airships de 1896/1897 recourent à des explications et des causes extraordinaires, se prêtant peu ou pas à la vérification. Dans la seconde partie, nous verrons si des explications conventionnelles et triviales (vérifiables ou carrément vérifiées, elles) peuvent ou non expliquer la vague. Elles seront de deux types :

  • La première concernera des prototypes de dirigeables et des inventions de l'époque, telles que défendues dans certains ouvrages, qui rendraient compte des observations. Nous verrons que cette hypothèse explicative, même si elle fait appel à des stimuli conventionnels (des dirigeables réels) résiste peu à l'analyse critique.

  • La seconde visera une approche sociopsychologique et culturelle. Dans un premier temps, nous verrons s'il n'existait pas, et cela de façon concomitante en temps (peu avant la vague) et en lieu (la Californie, où a démarré la vague), des éléments culturels (une imagerie de dirigeables ayant les mêmes caractéristiques que celles des dirigeables qui seront témoignés ensuite et cette imagerie véhiculée par la presse). Cette ambiance culturelle, étayée par des documents historiographiques et factuels donc, aurait alors créé une attente et des observateurs "plein d'espoir". De là, certains objets prosaïques que nous serions capables d'identifier, en lieu - la Californie - où cette imagerie précèdent la vague était vraisemblablement la plus forte ou tout simplement présente - ceci devant être démontrer par des éléments historiographiques - et justement où la vague a démarré, auraient été pris pour ces dirigeables que la culture ambiante véhiculait déjà et que des observateurs étaient en droit et en attente, légitimement donc, de les voir voler. 
S'il se vérifiait pour les observations princeps de Sacramento (17 novembre 1896) et d'Oakland (20 novembre 1896) qu'une culture ambiante pré-vague en temps et lieu existait, que nous identifions des stimuli prosaïque en temps et lieu qui auraient été pris pour ces dirigeables, et dans la mesure où ces observations ont été médiatisées, nous aurions des éléments pour qu'une contagion psychosociale (mass delusion) "démarrât". Aussi parce que d'autres variables et facteurs se sur-ajouteraient alors, et seraient en interaction les uns avec les autres (médiatisation donc, journaux en demande de témoignages provoquant ou incitant à des observations, enrichissant à leur tour les journaux ; encourageant des canulars ; de faux témoignages, et d'autres variables et facteurs plus fins, etc.).

Nous aurions alors une piste de réflexion solide pouvant expliquer la vague et serions en mesure de réduire la vague à des causes multiples, mais conventionnelles (un réductionnisme composite donc). Et ce, sans recourir à des hypothèses et entités "extraordinaires".
Enfin, en suivant et en se conformant ainsi au principe d'économie des hypothèses, à la parcimonie, en recourant donc à des processus et des stimuli ordinaires, cette piste et hypothèse s'avèrerait alors la plus solide et la plus valide, en comparaison aux hypothèses "extraordinaires" concurrentes.

(A suivre)

 Gilles Fernandez, Copyright december 2012.










mardi 16 octobre 2012

Du niveau d'étrangeté des récits d'OVNI : l'exemple de Yukon (1996)



 Dans son texte, l'hypothèse sociopsychologique : ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas, Jacques Scornaux présente quatre constatations d'ordre général qu'il considère comme gênantes pour les défenseurs d'hypothèses extraterrestres en ce qui concerne les OVNI :
  1. la continuité entre l’ordinaire et l’extraordinaire : il y a une continuité parfaite entre les confusions les plus banales, où l’objet observé est parfaitement reconnaissable sous le vocable d’ovni dont l’a gratifié le témoin, et les cas les plus complexes avec apparition d’entités et effets physiques divers. Cette continuité incite fortement à penser que l’on a affaire, quand on passe à de plus hauts niveaux d’étrangeté, à des différences de degré d’un même phénomène d’interprétation erronée et non à des différences de nature.
  2. l’indiscernabilité entre cas identifiés et non identifiés : les cas qui ont pu être identifiés de façon certaine, souvent d’ailleurs par des ufologues classiques, présentent à tous points de vue les mêmes caractéristiques que les cas qui demeurent non identifiés. La seule différence est la présence ou l’absence d’une explication. Pourquoi alors supposer que le résidu de cas inexpliqués relève d’un phénomène distinct ? D’autant plus que les ufologues reconnaissent que c’est parfois par pure chance qu’ils ont pu trouver l’explication, qui n’était a priori pas évidente du tout… Le désaccord entre croyants sur la composition du résidu inexpliqué offre aussi une belle confirmation de cette indiscernabilité.
  3. le non-resserrement des caractéristiques quand on sélectionne les « meilleurs » cas : les ovnis présentent des caractéristiques extrêmement variables d’un cas à un autre. Or quand on établit des critères de sélection des meilleurs cas non identifiés, en termes de nombre de témoins, d’évidences physiques, d’étrangeté, etc., on ne constate aucune convergence vers des caractéristiques plus précises : les cas dits « béton » présentent des aspects aussi variables que les cas moins bien attestés, ce qui ne serait pas le cas s’ils relevaient d’une cause distincte.
  4. La préexistence dans notre culture de toute la thématique ufologique : qu’il s’agisse des formes, prouesses et effets physiques des ovnis ou des types d’extraterrestres et de leurs comportements allégués, y compris les enlèvements de Terriens auxquels ils procéderaient, tout se trouvait déjà dans des productions culturelles récentes (science-fiction) ou anciennes (récits légendaires ou folkloriques). Pour être honnête, je dois préciser que les sceptiques ne sont pas à l’origine de ce dernier constat, car les croyants l’avaient fait avant eux, sciant ainsi allégrement la branche sur laquelle ils sont assis. Mais ils s‘étaient bien gardés d’en tirer les conclusions logiques : pour eux, l’intelligence responsable des ovnis adapte ses manifestations au contexte de l’époque et se manifeste par l’intermédiaire de notre culture. Ben voyons, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

J'aimerais revenir un temps sur un point inhérent à ces constatations d'ordre général. Et plus précisément, sur le fait que le degré ou parfois même le très haut degré d'étrangeté contenu a priori dans un récit et témoignage d'OVNI n'est pas un argument, ni un critère suffisant, pour indiquer ou pouvoir prétendre que l'on serait en présence d'un phénomène assurément non-conventionnel ou exotique. Et illustrer ceci par l'exemple d'un cas qui était considéré, selon certains "experts" et jusqu'à il y a encore quelques mois, comme l'un des dix meilleurs cas d'OVNI en terme d'évidences, voire de preuves, à présenter à la communauté scientifique - et donc cas en faveur de l'hypothèse de la visite d'engins extraterrestres ou en faveur d'hypothèse(s) exotique(s) connexe(s) - .

En 2005/2006, le producteur et réalisateur Canadien de films et de documentaires, Paul Kimball, qui connait très bien l'ufologie, sélectionna un panel mondial d'ufologues-enquêteurs parmi les plus réputés dans le microcosme ufologique. Il demanda à chacun d'entre eux de lui donner la liste des cas d'OVNI qu'ils considéraient comme "les meilleurs de tous les temps". Il pondéra les résultats en assignant une valeur selon le rang obtenu d'un cas dans la liste d'un expert.
Apparemment, pas moins de soixante-dix cas différents obtinrent au moins une fois la faveur d'un expert. On constate donc une assez grande variabilité inter-individuelle dans cette tâche consistant à désigner "les meilleurs cas", ceci montrant à nouveau le caractère hautement subjectif de l'ufologie et son manque de cohérence interne et d’homogénéité. Nous aurons sans doute l'occasion de revenir sur ce point "crucial" du manque de cohérence interne en ufologie, à l'occasion d'autres billets.
A la fin de cette procèdure, il résulte ainsi une liste des dix cas considérés comme les meilleures évidences ou preuves OVNI, le sous-entendu étant donc probablement "en faveur d'un phénomène exotique derrière les OVNI".
A partir de son sondage d'experts, Paul Kimball réalisera en 2007 un documentaire, intitulé Best Evidence: Top Ten UFO Cases.

Parmi les 10 meilleurs cas "de tous les temps", figure donc en rang #8 celui dit de Yukon (1996) qui consiste en plus de vingt-deux témoins indépendants ayant observé un OVNI au dessus du territoire Yukon (Canada), en cette nuit froide du 11 décembre 1996, engin qu'ils estimaient plus grand qu'un stade de football. Je vous propose de visionner le cas :



Le cas de Yukon classé #8 meilleur cas d'OVNI de tous les temps dans le document de Paul Kimball.


Ou encore en janvier 2007, dans un documentaire intitulé It Came From Heaven (Cela Vient Du Ciel).

L'émission “It Came From Heaven”, Giant UFO in Yukon Territory, pour Canada APTN, 21 janvier 2007.

Le cas depuis 1996 a fait l'objet de nombreuses émissions "sensationnalistes" consacrées aux OVNI, d'articles ufologiques, tant dans les média "papiers" que sur la toile ; le cas a été également le centre d'intérêt de nombreuses discussions au sein de forums spécialisés, par exemple sur Above Top Secret. C'est ce genre de cas que l'on considère donc comme très solide, "béton", chez les tenants/croyants en l'hypothèse d'engins extraterrestres nous visitant (ou en faveur d'autres explications exotiques).

Les témoins furent particulièrement (et légitimement) ébahis du spectacle qui s'offrait à eux, décrit comme le passage d'un immense vaisseau-mère, avec des rangées de lumières ou encore éclairant le sol à l'aide de projecteurs, se déplaçant sans bruit et lentement. Un témoin indique également que l'intensité lumineuse à l'intérieure de sa voiture aurait faibli ou encore que le rythme de la musique qu'elle écoutait sur son radio-K7 aurait ralenti. La vidéo de Paul Kimball retrace l'évènement tel qu'il a été allégué, à partir de différents récits de témoins.
On comprend aisément que ce cas figure en bonne place dans le sondage réalisé auprès d'experts et que le cas représentait pour eux une évidence/preuve en faveur d'engins extraterrestres nous visitant. Et pourtant...

En avril 2012, James Oberg, un ancien de la NASA s'intéresse presque par hasard au cas. En effet, aux alentours du 4 avril, le sceptique britannique et astronome Ian Ridpath demande au travers d'une liste internet réunissant quelques "UFO-sceptiques" si un d'entre eux aurait des informations ou des pistes explicatives à proposer concernant ce cas fort réputé. A l'époque, James Oberg est en Asie et n'a que trop peu de temps à consacrer au cas. Mais à son retour, Oberg contacte le célèbre expert en satellite Ted Molczan et lui détaille le cas. Et là, stupeur : aussi surprenant que cela puisse paraître, l'expert trouve presque facilement le candidat parfait et bien prosaïque, avec calculs à l'appui et déclare :

 Dessin par un témoin du passage de l'OVNI au-dessous de la "Grande Casserole" de la Grande Ourse (Big Dipper).


Reconstitution assistée d'un logiciel par Ted Molczan du trajet de la ré-entrée du booster de Cosmos 2335 ce 11 décembre à 8.26 PM (Pacific Standard Time).


Reconstitution par l'astronome amateur (et ami !) Thibaut Alexandre en utilisant les derniers paramètres orbitaux de Cosmos 2335 à l'aide du logiciel JSatTrack, à la date du 12 décembre 1996 à 4h27 TU (donc dans la soirée du 11 décembre, heure locale).

Le candidat et les calculs de Ted Molczan seront également confirmés par Harro Zimmer sur la liste SeeSat.

La "méprise" et l'étonnement des témoins sont tout à fait légitimes. Et comme je l'écrivais ailleurs :
Ce type de ré-entrée semble vraiment très impressionnant...
La seule chose que je peux en dire modestement, c'est que je ne suis "pas étonné" qu'un tel stimulus bien réel, à 150/250 km de distance, d'une longueur de plusieurs dizaines de kilomètres en réalité, avançant de 5 à 10 km par seconde en réalité (si je ne m'abuse moi-même), soit perçu ainsi : estimé comme très proche, estimé de cent à deux cents mètres de longueur, et estimé comme très lent, parfois de la vitesse de la marche à pied ; et que parfois on le "soucoupise".
Quel spectacle que cela doit être vraiment !
 Robert Sheaffer tente également de montrer ce qui se passe chez les témoins de ce type de ré-entrée. Notamment pourquoi les témoignages présentent (légitimement) un très haut niveau d'étrangeté a priori et qu'est-ce qui peut se passer "cognitivement" du stimulus réel (la ré-entrée) à une réponse (ce qui est témoigné). 
Par exemple, à propos des rangées de lumières témoignées : le booster se désintègre en un train de débris irréguliers, et ceci est alors perçu comme un pattern ordonné de "lumières" appartenant à un seul et même objet solide. 

J'ajouterais que ceci n'est guère surprenant, ni très nouveau, vu sous l'angle de la psychologie de la forme (gestaltisme) et ses principes, notamment ici la loi dite du destin commun. Rappelons ces lois :

  • La loi de la bonne forme : loi principale dont les autres découlent : un ensemble de parties informe (comme des groupements aléatoires de points) tend à être perçu d'abord et automatiquement comme une forme. Cette forme se veut simple, symétrique, stable : une bonne forme.
  • La loi de continuité : des points rapprochés tendent à représenter des formes lorsqu'ils sont perçus. Nous les percevons d'abord dans une continuité, comme des prolongements les uns par rapport aux autres.
  • La loi de la proximité : nous regroupons les points d'abord les plus proches les uns des autres.
  • La loi de similitude : si la distance ne permet pas de regrouper les points, nous nous attacherons ensuite à repérer les plus similaires entre eux pour percevoir une forme.
  • La loi de destin commun : des parties en mouvement ayant la même trajectoire sont perçues comme faisant partie de la même forme.
  • La loi de familiarité : on perçoit les formes les plus familières et les plus significatives.

A propos du fait que l'on trouve souvent dans les témoignages que les étoiles étaient cachées par l'objet, alléguant un caractère solide à celui-ci, les observateurs voient en fait un long train de débris en train de se désintégrer, mais l'intensité lumineuse des débris est bien plus élevée que celles des étoiles, si bien que celles-ci sont difficiles, sinon impossibles à voir derrière la ré-entrée.

Et Robert Sheaffer de conclure dans son billet :
Ici nous avons à nouveau un excellent exemple de témoignage extraordinaire (un OVNI vaisseau-mère géant) résultant d'un phénomène parfaitement ordinaire (même si rare). De là, l'existence de témoignages extraordinaires ne suggère pas l'existence d'objets extraordinaires. Il est parfaitement possible d'obtenir des témoignages extraordinaires à partir d'objets ordinaires.
 Pour ma part encore, je dirais que ce qu'il se passe ici cognitivement relève aussi de la "désambiguïsation cognitive", en ce sens qu'en cas de stimulus flou, rapide, fugace, ambigu ou encore jamais perçu auparavant, notre perception est alors dirigée par les concepts. On parle de processus "top-down" en Anglais ou encore de processus descendants, c'est à dire des processus cognitifs qui utilisent des connaissances et qui influencent la perception. 
Dans de tels cas perceptifs "ambigus", on peut "projeter" consciemment ou inconsciemment des concepts à propos de ce stimulus que l'on a pas réussi à identifier pour un certain nombre de raisons (parce qu'il est prosaïque, mais il se présente sous des conditions particulières ; parce qu'il est ambigu ; parce qu'il est incertain ; parce qu'il est nouveau ; par ce qu'il est équiprobable ; etc.). C'est d'ailleurs ainsi sans doute que l'on peut rendre compte des innombrables cas de méprises par de tels processus cognitifs descendants dits d'élaboration ou de transformation projectives (Voir à ce sujet le texte de Rossoni, Maillot & Déguillaume notamment à partir de la page 4, chapitre mis en ligne de leur ouvrage Les OVNI du CNES:30 ans d'études officielles 1977-2007).
Il est démontré en psychologie cognitive que nos intérêts, nos dispositions et attitudes ont un effet direct sur notre perception : une large part de ce qui est perçu est en fait principalement déduit.
De nombreuses études montrent aussi (et la casuistique ufologique fourmille de tels cas) que des témoins peuvent "voir" des choses et des détails de façon très précise et sincèrement, qui étaient en réalité absents. Nous tendons donc à voir (ou à entendre) ce que nous nous attendons à voir (ou à entendre).

Elizabeth Loftus développe également dans Eyewitness Testimony,  - et en s’appuyant sur un corpus expérimental - qu'il existe quatre types d'attentes influant la perception : les attentes culturelles et les stéréotypes, les attentes liées aux évènements passés, les préjugés personnels et enfin les attentes momentanées ou temporaires. Si un de ces facteurs entre en jeu pendant la perception, il l'influence et la modifie en ce sens que ce qui est perçu est "déformé" afin de se conformer à nos attentes. C'est également ce qui se passe en cas de stimulus "trop court", ambigu, peu clair, incertain, jamais vu auparavant, etc. 
Ajoutons à cela que n'importe quel récit ou témoignage (la remémoration) est un produit qui a subi l'influence de ce que l'on s'attendait à voir, de ce qui serait "raisonnable" de voir, de ce qu'il est possible de dire -ou non - à la personne qui va recueillir le récit. Et donc, les choses se complexifient encore entre la perception à proprement parler du stimulus et la remémoration, où de nouvelles variables cognitives et facteurs divers vont influer sur le produit recueilli (le récit, le témoignage). Se remémorer, c'est un peu plus s'éloigner de ce qui a été réellement perçu, si je peux dire. Autrement dit, une remémoration, ce n'est pas "instancier" en mémoire une sorte d'instantané photographique de ce que l'on a perçu. Trop souvent, les "ufologues" ne considèrent pas le témoignage comme on le considère dans les sciences humaines expérimentales (psychologie cognitive, criminologie, Histoire, etc).

Enfin, toujours en matière de témoignage, certains mécanismes peuvent conduire à ce que le récit recueilli soit en fait ce que le psychologue D. H. Rawcliffe introduit comme terme, celui de la falsification rétrospective. Dans mon livre, Roswell : Rencontre du Premier Mythe, je l'avais traduit/résumé ainsi comme :
     [..] une histoire où, à partir d’une situation ordinaire, certains mécanismes psychologiques et sociologiques sont mis en œuvre et font que l’on commence à raconter des faits extraordinaires, qui sont repris ultérieurement avec des embellissements et des élaborations ultérieures de telle façon que, seuls, les points en faveur de l’extraordinaire sont mis en avant, tandis que les points ordinaires sont laissés de côté. C’est la version sensationnelle qui reste mémorisée, renforçant la croyance ou l’opinion qu’il s’agit d’une affaire extraordinaire.
La falsification rétrospective agit comme un processus consistant à raconter une histoire extraordinaire à partir de certains faits ordinaires, mais que l’on déforme ou que l’on embellit dans le temps. Les embellissements comprennent des spéculations, des amalgames avec des événements survenus à des moments ou dans des lieux différents, mais également l’incorporation de matériels à l’histoire issus de la culture ambiante (légendes urbaines, livres, films, entretien guidé consciemment ou non, etc.) sans tenir compte de leur exactitude ou de leur plausibilité. On invente de façon consciente ou inconsciente des éléments qui correspondent au résultat souhaité. L’histoire originale et ordinaire se remodèle avec des points extraordinaires mis en valeur, tandis que les points défavorables et ordinaires sont abandonnés. La version déformée (et fausse) devient un faux souvenir (annexe 17) d’autant plus que les acteurs sont auto-renforcés dans leur croyance par d’autres éléments : nouvelles interviews guidées consciemment ou non, partage de la même opinion avec d’autres, etc.
Des protocoles expérimentaux directement liés à l'ufologie ont parfois été mis en place. Le document suivant est particulièrement intéressant sur ce point (il est en Allemand, mais l'image suffira amplement à comprendre ce qu'il se fait). Allez directement vers 4:30 dans la partie 2 (merci à "Sébastien" d'avoir signalé ce document) pour découvrir un protocole mis en place par le sociologue et géographe Edgar Wunder. L'expérience montre bien que de tels processus d'élaboration et de transformation projectives ont été mis en œuvre par les sujets sur des stimulus prosaïques ambigus ou encore sans réelle signification, qu'ils ont parfois, si je peux dire, "soucoupisés".

***

Enfin,  on ne peut pas s'empêcher de comparer le cas de Yukon avec la ré-entrée du 5 novembre 1990 qui a donné lieu à une avalanche de témoignages d'OVNI de type "vaisseau-mère" avec des projecteurs, cas "mythique" sur lequel nous aurons l'occasion de revenir et de partager les sources sceptiques à disposition, notamment les travaux de Robert Alessandri.
Dans la casuistique ufologique, il existe également un autre cas célèbre de ré-entrée ayant donné lieu à des témoignages d'OVNI, de façon tout à fait légitime, tant un tel "spectacle" doit être étonnant : il s'agit de la ré-entrée de Zond IV le 3 mars 1968. Là encore, il est vraiment intéressant de lire les récits qui présentent (légitimement encore une fois) un haut degré d'étrangeté a priori, alors qu'il ne s'agit que d'un objet prosaïque non-identifié.
Je signale aussi l'excellente page de Tim Printy où l'on trouve tout un tas d'informations sur des cas d'OVNI et les ré-entrées atmosphériques.

A noter aussi que Ted Molczan aurait sans doute identifié une ré-entrée atmosphérique très récemment encore comme potentiel candidat prosaïque pour un autre cas d'OVNI, Marocain cette-fois, nuit du 18 au 19 septembre 1976, comme nous l'a signalé Thibaut Alexandre dans le lien précèdent.  Ajout : j'apprends que la ré-entrée est confirmée par Haro Zimmer.
Récemment encore, Thibaut et Robert Alessandri semblent avoir été capables d'expliquer le cas d'observation de Nuku Hiva, du 22 octobre 1988, PAN D du GEIPAN (observation inexpliquée malgré les éléments en possession, selon la classification en vigueur de l'organisme) par la ré-entrée de l'étage supérieur de la fusée Proton ayant servi à lancer Raduga 22. L'explication détaillée se trouve sur le forum UFO-Scepticisme.

Reconstitution via le logiciel JSatTrak réalisée par Robert Alessandri de la ré-entrée de l'étage supérieur de la fusée Proton ayant servi à lancer Raduga 22 (SL - 12 R/B(1).


Le cas de Yukon a fait également partie du dossier consacré aux OVNI du numéro 95 hors-série de Science & Vie Junior (Août 2012) consacré aux phénomènes étranges et pour lequel j'ai eu l'honneur d'être consulté.




Ce cas majeur de l'ufologie, que certains experts considéraient comme l'une des dix meilleures évidences ufologiques pouvant indiquer que nous serions visités par des "soucoupes volantes" (ou en faveur d'autres hypothèses non-conventionnelles) est désormais expliqué. Seuls, certains "ufomanes" essaieront de recourir à des explications ad hoc pour tenter de maintenir le contraire (comme ils le font à propos de la ré-entrée du 5 novembre 1990, un phénomène exotique parasitant, "mimétisant", profitant, de telles ré-entrées...)
Ce cas - qui n'est pas le seul à démontrer cela, et nous aurons sans aucun doute l'occasion d'y revenir - montre également que le niveau d'étrangeté a priori au sein des récits d'OVNI n'est pas un bon, ni suffisant, argument ou indicateur en faveur du caractère exotique d'un stimulus perçu par des témoins.

Au total, à partir d'objets plus ou moins ordinaires en réalité, nous pouvons obtenir, souvent très légitimement d'ailleurs, des descriptions et des récits tout à fait extraordinaires.


Gilles Fernandez, Copyright octobre 2012.





dimanche 30 septembre 2012

Le Rythme des Vagues d'OVNI : un Système contrôlé d'Accommodation ? Ou une Cuisine statistique ?

Bonjour,

Une étude de Michael Vaillant sur sa page WIKI "U-Sphère" s'intéresse dans un premier temps aux possibles relations ou fonctions mathématiques qu'il y aurait entre les différentes vagues d'OVNI. 
Le texte est richement illustré et "savant" a priori et l'approche semble être rigoureuse, s'appuyant largement sur l'outil statistique.

Il en ressort des graphiques imposants et des fonctions mathématiques particulières pouvant rendre compte des données. Si bien que l'étude pourrait donner l'impression que le chercheur a réussi à établir ou démontrer une relation statistique et mathématique particulière entre les différentes vagues d'OVNI. 
Plus étonnant ou séduisant encore, cette relation entre les vagues ainsi prétendument mise en lumière serait de même type que celle montrée dans certaines études concernant l'apprentissage humain et viendrait assoir l'hypothèse d'une sorte de système de contrôle de la part d'un "phénomène" ou d'une "entité" restant à définir, qui accommoderait les Humains à sa présence avant LE contact !

Un résultat fascinant et surtout fort séduisant pour les personnes attendant beaucoup de leur passion pour le phénomène OVNI. Mais qu'en est-il vraiment ?

A l'inverse, les "UFO-sceptiques" - dont je me réclame - définissent en général les vagues d'OVNI de la façon suivante, et pensent qu'elles sont relativement imprévisibles, sans réelle liaison ou relation statistique entre elles, et jusqu'à preuve du contraire :
 Lorsque la couverture médiatique conduit le public à croire qu'il y a des ovnis dans les environs, il y a de nombreux objets naturels ou artificiels qui, particulièrement lorsqu'ils sont vus la nuit, peuvent prendre des caractéristiques inhabituelles dans l'esprit d'un observateur plein d'espoir. Leurs observations d'ovnis s'ajoutent en retour à l'excitation de masse, ce qui encourage encore plus de témoins à chercher à voir des ovnis. Cette situation se nourrit d'elle-même jusqu'à ce que les médias perdent leur intérêt pour le sujet, et alors le phénomène retombe.
Klass, P. (1986). UFOs : The public deceived. New York : Prometheus Books, p. 303/304.
 
***

Entrez des données dans un logiciel, il en ressortira toujours des résultats, des courbes et des graphiques.
Avais-je coutume de dire en module d'introduction à l'analyse des données à mes étudiants.
Si on se livre à une étude exploratoire, en ce sens qu'il n'y a pas d'hypothèse particulière avant ou a priori de l'expérience ou du traitement des données - l'idée étant justement de voir si les données ont tendance à se distribuer de façon notable, ou non - les logiciels à qui l'on demandera de sortir calculs ou graphiques, vont bien sûr, "irrépressiblement" aurais-je envie de dire, les produire.
Ils vous sortiront donc toujours "quelque chose". Il conviendra alors au chercheur de savoir si ce "quelque chose" qui sort, est dû au hasard, ou bien s'il existe des variables explicatives à ce qui sort et qui lui paraît notable et remarquable. On se propose alors d'expliquer après et a posteriori. La subjectivité risque alors de prendre le pas sur l'objectivité, car il n'a pas été formulé d'hypothèse(s) précise(s) qu'on se proposait de vérifier. Si la subjectivité entre trop en compte, on s'éloignera alors de l'approche expérimentale et donc de la Méthode Scientifique. On aurait ainsi l'illusion de rigoureusement s'y tenir, alors qu'il n'en serait rien. Voilà le risque. Et quand on continue à sélectionner de façon subjective les données parmi les données, et ainsi de suite, on bricole plus qu'autre chose. A terme, à force d'avoir sélectionné et sélectionné encore, quitte à perdre et éliminer une écrasante majorité des données qu'on s'était pourtant donné pour but de voir si elles se distribuaient notablement, le miracle se produit.

Ce miracle est celui du sophisme ou biais des statistiques des petits nombres : on tire des conclusions sur un échantillon inadéquat, et en l’occurrence ici, qui ne serait plus représentatif de celui de départ, puisqu'on l'a plus que très considérablement réduit.

J'avais déjà commenté cette étude de Michael Vaillant sur au moins deux forums et je me propose de réunir et résumer, ou encore compléter ici ce qui m'avait frappé et gêné particulièrement, invalidant pour moi les résultats obtenus ou ce que l'on a bien voulu leurs faire dire.

***

  • Le problème principal de ce genre d'étude : c'est sans doute qu'elle s'appuie sur des bases de données "OVNI", alors que d'autres études ou contre-études critiques montrent une indiscernabilité OVI/OVNI (un OVI est un cas ou une observation non identifiée sur le coup - et donc qui a pris le statut OVNI - dont le stimulus réel et prosaïque sera identifié ensuite, après enquête par exemple).
Autrement dit, si le chercheur appliquait exactement la même étude et la même méthodologie statistique sur les cas OVNI identifiés (OVI) - il existe en effet des bases statistiques OVI -, il est fort probable du fait de cette indiscernabilité et non indépendance entre les deux échantillons OVI/OVNI, qu'il retrouve exactement ou plus ou moins les mêmes tendances. Ce serait assez fâcheux pour ce que ce genre d'étude est censé démontrer. De là, je trouve étonnant que les cas OVI ne servent pas de "groupe contrôle" dans ce genre d'étude. C'est un premier point critique.

Intrinsèquement aussi à la base de données, il y a le problème de la fiabilité des cas recensés et utilisés pour les statistiques comme échantillon. Je m'explique : l'étude en effet se sert de la base de données de Larry Hatch ("U-Database") qui recence.... 17774 cas d'OVNI !!! - Elle doit même être de 18500 cas à ce jour - .
Autrement dit, sur les cas OVNI retenus pour l'échantillon de données que l'on va entrer dans les logiciels, il est indéniable qu'un (très) grand nombre de cas appartiennent à l'échantillon simplement parce qu'il n'a pas été possible, par manque de données, d'identifier le stimulus prosaïque à la source de l'observation. Voire que des cas ont été simplement déposés, et qu'aucune enquête n'a été réalisée en réalité.

Par exemple, quand on sait que la base d'Allan Hendry contient environ 1300 cas, mais que 8 à 9 % seulement sont OVNI (et seulement 20 cas considérés comme très solides), et qu'on utilise ici une base de 17800 cas UFO environ, il est clair que l'échantillon retenu est sujet à caution.
Par exemple toujours, dans cette étude, c'est la vague de 1954 qui contribue le plus en cas OVNI (et à la base de données appuyant cette étude). Or, des études ont épuré les cas de cette vague de 1954 pour montrer qu'il y a toute raison de penser qu'il s'agissait de canulars ou encore de méprises Lune pour un très grand nombre d'entre eux.
Le risque est donc alors de s'auto-illusionner en faisant de la statistique sur des cas ayant le statut d'inexpliqué par simple manque de données ou carrément par absence d'enquête.

  • Le problème de l'opérationnalisation subjective de la variable "vague d'OVNI"  : ensuite, le chercheur nous invite à relever des pics d'activité à partir de l'échantillon, mais la méthode permettant d'attribuer le statut de pic à tel ensemble de points, plutôt qu'à un autre, est-elle objective, ou non ?

Les pics d'observations retenus pour l'étude, noté de 0 à 12.


Force est-il de constater qu'il y a 12 pics considérées comme des "vagues", notées v0 à v12 (on n'a pas pris la peine de noter les vagues v6, v7 et v8 dans ce graphique pour une raison que j'ignore).
Curieusement, certains autres pics qui sont pourtant plus ou moins de même taille en effectif que ceux retenus ne sont pas considérés comme des vagues. Sur quel(s) critère(s) ? Ainsi, le choix d'attribuer à tel pic le statut de vague serait arbitraire.
En effet, 1979, est plus ou moins de même ampleur que v11 ou v12. Alors pourquoi ne pas l'avoir retenu, au même titre que ceux-ci et donc comme un pic ou une vague ? 1995/96 constitue v12, mais 1972/73, pourtant plus ou moins de même ampleur là-encore, n'est pas retenu pour la suite comme une vague. Pourquoi ? On a également un pic en 1956/57, mais là encore, on ne le considère pas.

Il y a semble-t-il ici un problème majeur d'opérationnalisation de la variable "vague OVNI" : autrement dit, on se propose d'effectuer des statistiques sur des variables opérationnalisées de façon subjective et non rigoureuse, pour démontrer ou proposer ensuite une fonction mathématique pouvant rendre compte de la distribution de celles-ci...

  • Une fonction d'apprentissage et d'accoutumance ? L'auteur propose qu'une fonction de même type que celle montrée pour l'apprentissage humain en psychologie cognitive pourrait rendre compte et expliquer les relations entre les vagues et assoir l'hypothèse d'un système de contrôle "à la Jacques Vallée", telle une sorte de système d'apprentissage et d'accoutumance optimal.  Qu'en est-il vraiment ?
En psychologie cognitive et pour faire court, certaines expériences montreraient que l'apprentissage humain optimal suit une distribution particulière (allure exponentielle) : le temps d'attente entre deux sessions d'apprentissage ou deux révisions peut être espacé de façon exponentielle : trop rapprocher les sessions n'a aucun ou très peu d'effet, aussi on peut espacer celles-ci, de plus en plus, sans que les performances d'apprentissage s'en ressentent. En d'autres termes, un apprentissage optimal présente des sessions d'apprentissage de moins en moins rapprochées les unes des autres. Ou dit encore autrement, plus le temps passe, moins le renforcement des connaissances acquises est utile : l'apprentissage se fait essentiellement au départ, puis on atteint un plateau, et ensuite, seuls des renforcements périodiques seraient nécessaires pour rafraichir et maintenir les connaissances. 

L'auteur pense ou affirme avoir trouvé ce même type de relations pour ce qui est des périodes qui séparent les différentes vagues d'OVNI entre elles.

D'abord, notons que l'auteur semble partir du principe que c'est le nombre de cas (d'expositions) qui déterminerait la force et la puissance de l'apprentissage ou de l'accoutumance que "l'intelligence supposée" manipulerait ; Et non pas, par exemple le nombre de témoins qu'une observation va impliquer ; ou encore le caractère spectaculaire de la manifestation, ou non ; sa médiatisation, etc. 
Je veux dire par là que seule la fréquence importerait et impacterait. Chacun des cas ayant en somme "la même valeur", qu'importe soit le nombre de témoins touchés, qu'importe sa couverture médiatique, etc.
Cela me semble assez "réducteur" et "subjectif" au sein même d'une hypothèse carrément subjective.

Un autre problème est le suivant : il existe aussi des cas OVNI "uniques" et pourtant fortement médiatisés qui n'appartiennent pas à ces vagues. Cas qui ont eu pourtant un impact assez important sur la Société et les contemporains (ou au sein du microcosme ufologique). Par exemple, 1964 est une année "morne" en terme de nombre de cas d'OVNI si on regarde le graphique, mais c'est l'année du cas de Socorro, un cas fortement médiatisé, beaucoup discuté, affiché dans le microcosme ufologique.
Si l'on assoit, comme le fait l'auteur, que le phénomène OVNI a un impact sur la Société et procèderait tel un système de contrôle, semblable à une méthode d'apprentissage ou d'accoutumance optimale, comment rendre compte de ces cas fortement médiatisés, et qui appartiennent à des années relativement "mornes" en nombre de cas et donc en effectif ?
Ces autres pics (non retenus pour opérationnaliser la variable "vagues d'OVNI", et, alors qu'ils sont de même ampleur que d'autres retenus) et les cas isolés pourtant fortement médiatisés ne participeraient pas au système de contrôle que l'auteur propose d'assoir pourtant ici, tout en relevant quand même de celui-ci ? Nous avons relevé en effet, au moins deux pics, en 1972/73 et 1979, soit deux pics assez rapprochés et "en milieu "de distribution, et qui vont donc a priori à l'encontre de l'idée ou hypothèse que les vagues seraient de plus en plus espacées (devenant ensuite une sorte de rafraichissement des connaissances).

Cela tombe bien, on a viré ces deux pics de l'analyse des données...

La distribution des cas d'OVNI depuis 1947 serait telle une application, où le temps d'attente entre chaque vague serait exponentiel (avant le contact !) et semblable à une courbe d'apprentissage optimisée (pour faire court, doublant plus ou moins le temps d'attente entre deux répétitions)... tout en n'y ressemblant pas !

  • Du bricolage ? Ou comment transformer une fonction linéaire attendue en une fonction exponentielle.

Une échelle d'intervalle en "statistiques" est une échelle de mesure avec pour unités A, B, C, etc., où l'écart (étendue) entre A et B = l'écart entre B et C = l'écart entre C et D, etc. C'est très commun dans la vie courante : c'est par exemple le cas pour les échelles de mesure du temps, comme en années, les échelles de mesure de la température, comme en degrés Celsius, des distances, comme en mètres, de mesure de la vitesse, comme en kilomètres par heure, etc. 

A partir de telles échelles d'intervalle, il est évident d'obtenir une fonction linéaire si l'on ordonne les longueurs d'intervalle qui existent entre A et B, puis A et C, puis A et D, puis A et E, etc. Ainsi, pour les cas des années, on conviendra mentalement assez facilement qu'il y a une année entre 1900 et 1901, deux années entre 1900 et 1902, trois années entre 1900 et 1903, quatre années entre 1900 et 1904, etc. 
Maintenant, opérons la chose suivante sur une période allant de 1900 à 1978: si je prends certaines longueurs uniquement au début de cette transformation (par exemple, je ne garde que mon écart 1 - d'une année entre 1900 et 1901-, puis mon écart 4 - de quatre années entre 1900 et 1904 -,  puis mon écart 7 - de sept années entre 1900 et 1907-, que je prenne un écart au centre de la distribution, comme mon écart 34 - de trente-quatre années entre 1900 et 1934 - puis que j'aille vers la fin, par exemple, à mon écart 72  - de soixante-douze années entre 1900 et 1972 - et que je relie ces points, la tendance ou l'allure cette fois-ci ne sera plus linéaire, mais plutôt exponentielle. Or, nous allons voir que c'est sans doute ce qui se passe pour une partie des résultats obtenus.
En d'autres termes, en sélectionnant certains points d'une fonction linéaire, je peux obtenir assez facilement et voir apparaître une tendance ou une allure exponentielle.
Observons justement ce qui se passe pour le graphique suivant, tiré de l'étude de Michael Vaillant (ouvrez-le grâce clic droit + nouvel onglet ou nouvelle fenêtre pour une meilleure visibilité).
 

Relations entre les périodes d'activité du phénomène OVNI (1)

Les Xn en jaune dans ce premier graphique sont une notation adoptée pour exprimer la période (en années) qui s'écoule entre les vagues d'observations (chacune choisie subjectivement - voir plus haut - ).  Ainsi, X3 : période entre v0 et v2 ; X4 = période entre v0 et v3 ; etc. ; X12 = entre v0 et v11. 

Dans cette partie de l'étude, le chercheur veut montrer que la durée des périodes répond à une fonction exponentielle semblable à celle des périodes optimales entre des sessions d'apprentissage, comme cela existe en psychologie de la cognition (pour optimiser l'apprentissage, une méthode consiste à espacer les séances d'apprentissage ou de révision environ du double de la période précédente), comme si le phénomène voulait acculturer et accoutumer les Hommes. C'est ce que l'auteur a obtenu : X3 X4 X5 X9 et X12 s'ordonnent exponentiellement. On s'aperçoit que l'on est également passé d'un moyennage du nombre des observations (cas) sur 3 mois à un moyennage sur 6 mois, et on a ainsi transformé la distribution de départ de façon à faire apparaître des pics plus "artificiellement".
On se décide surtout, pour une raison que j'ignore, d'agglomérer ou de concaténer v5 à v9 (+ v10 ?), soit pas moins de 5 ou 6 pics/vagues pour calculer ce X9 ! Pourquoi ?  Qu'est-ce qui peut bien justifier cela ?

Parce que ces pics et vagues "du milieu" de la distribution sont trop rapprochés, et les garder tels quels irait contre l'hypothèse ? En effet, on s'attend à ce que, chronologiquement, les pics et les vagues soient de moins en moins rapprochés. Or, en milieu de distribution, on a 6 vagues qui vont à l'encontre de cela. Autant les agglomérer/concaténer en une seule !

Cette fonction exponentielle n'existe donc que pour les X3 X4 X5 X9 X12 - choisis arbitrairement - (cela donne périodes = 5, puis 7 puis 10, puis 21, puis 43 ans), mais cela ne marche pas si l'on inclut toutes les "vagues". C'est à dire que si l'on entrait dans le calcul, les périodes v0 à v1, v0 à v2; v0 à v3; ... v0 à v12, cela ne fonctionnera pas. (Et si le chercheur avait gardé les deux pics des années 70's dont nous avons causés et qui ne sont curieusement et arbitrairement pas retenus, cela serait encore pire).
On obtiendra forcément une tendance linéaire (elle est inhérente à toute échelle d'intervalle si l'on procède ainsi, comme nous l'avons montré), mais pour ce qui est d'une tendance exponentionnelle, pas le moins du monde.
Pourquoi enlever des vagues et les périodes associées, vagues que l'on a pourtant opérationnalisées comme telles, si ce n'est pour ne plus les retenir après ?

L'échantillon retenu ici n'a décidément plus rien à voir avec l'échantillon de départ, alors que l'on se proposait de voir si cet échantillon se distribuait notablement.

Au total, c'est sur les périodes v0 à v1, v0 à v2, .. v0 à v12 qu'il aurait été intéressant de retrouver une fonction exponentielle (en se mettant à la place du chercheur et de ce qu'il attend). Or, cela ne marche pas le moins du monde. La tendance linéaire qu'on obtiendrait n'est pas surprenante : sur n'importe quelle distribution s'inscrivant sur une échelle d'intervalle, l'écart entre A et B, puis l'écart entre A et C ,puis A et D, etc. a forcément une tendance linéaire.
Intéressons-nous maintenant au second graphique.


Relations entre les périodes d'activité du phénomène OVNI (2)

Regardez attentivement ce second graphique. On obtient une nouvelle fonction exponentielle "correspondant" à une courbe d'apprentissage (démarrant en 1947 ?). Résultat concluant en apparence. Qu'en est-il vraiment ?

L'auteur produit en effet une autre courbe exponentielle en entrant des données dans le logiciel. Celle-ci donnerait l'impression que les périodes se suivent chronologiquement, puisque les X sont indicés ordinalement, de X1 à X11. En ne retenant que X1 X2 X6 X8 X10 X11, l'auteur fait effectivement apparaître une nouvelle tendance exponentielle. Mais entre quelle période et quelles autres périodes ?
En fait, si on y regarde de près, pour obtenir cette courbe, on a relié arbitrairement et ad hoc v2 à v3 -X1- (on ne part plus de la vague de 1947 !), v3 à v4 -X2-, v3 à v8 -X6- (notez que l'on reste sur v3 - pourquoi donc ? - pour sauter pas moins de 4 vagues ou pics se suivant pourtant chronologiquement !) , puis, "abracadabra", voilà que l'on remonte dans le temps à 1947, et on repart de v0, pour prendre arbitrairement et cette fois-ci l'intervalle v0 à v10 - X10-, puis on s'en retourne arbitrairement à v3, pour considérer enfin l'intervalle de v3 à.... v11 -X11 -.
Pourquoi ne plus ordonner chronologiquement les vagues ou périodes, si l'on veut mettre en évidence un apprentissage, une accommodation, une acculturation au-fur-et-à-mesure ? Qu'est-ce qui justifie ce qui est relié de ce qui ne l'est pas ?  Étrange exercice que voilà ou marelle ?

C'est avec cette "gymnastique" que l'on a obtenu la jolie courbe exponentielle...

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Au total, il a fallu "bidouiller", "bricoler", concaténer, agglomérer, ficher en l'air et à la poubelle nombre des vagues que l'on a opérationnalisées pourtant (de façon sujette à caution), choisir des intervalles d'une façon totalement arbitraire et en en laissant de très nombreux autres de côté. La fonction exponentielle n'est donc obtenue qu'au détriment d'une élimination drastique de cas, de pics et de périodes entre les vagues (par exemple, pour le premier graphique).
Ou encore (et ici pour ce second graphique), en choisissant des intervalles ou périodes entre les vagues n’obéissant à aucun critère, ni règle précise, en gardant ad hoc, que ceux qui permettent d'obtenir le résultat "escompté".

Du coup, on peut se demander si ce n'est pas la personne qui fait l'étude et qui choisit subjectivement des observations statistiques sur la distribution des cas d'OVNI, le véritable système de contrôle ici... 
  
  • Des Variables sociopsychologiques.
La médiatisation du phénomène OVNI et son impact sociétal ne suivent sans doute pas le rythme et la chronologie des observations d'OVNI au moment où celles-ci se produisent. Or, la littérature et la cinématographie consacrées au phénomène OVNI participent et ont bien évidemment un très fort impact, à inscrire les OVNI dans les consciences. On peut légitimement se demander si ce genre de variables socioculturelles ne serait pas en fait bien plus important que les cas OVNI eux-mêmes, notamment à inscrire les OVNI dans la culture ambiante.

Conclusion

L'étude se heurte d'abord aux problèmes bien connus liés aux bases ufologiques (subjectives, cas parfois non enquêtés ou faiblement documentés, etc.). L'absence dans l'étude d'un groupe contrôle OVI pose un problème crucial à ce genre d'étude, puisque les études montrent une indiscernabilité entre les OVI et les OVNI. On a vu que la variable "vague d'OVNI" était curieusement opérationnalisée, certains pics d'OVNI sont sélectionnés et retenus pour l'analyse statistique, mais d'autres rejetés, alors qu'ils sont pourtant de même ampleur que certains des pics retenus...

Nous avons vu ce que cela pourrait donner si l'on s'intéressait vraiment aux périodes entre les 12 vagues (vo à v1, v0 à v2, vo à v3, etc) : les différentes longueurs des périodes qui espaceraient les vagues retenues ne suivraient pas une fonction exponentielle. Or, c'est ce que l'étude est censée (dé)montrer ou avancer. Nous obtiendrons une tendance linéaire, mais celle-ci est tout a fait logique et intrinsèque à toute transformation de ce genre. Avec les pics non retenus, sans trop en connaître les raisons, cela serait sans aucun doute encore pire.
Quand on s'intéresse donc à ces intervalles, v0 à v1, v0 à v2, etc. jusqu'à v0 à v12, une courbe exponentielle n'est possible qu'en retenant (v0 à v2), (v0 à v3), (v0 à v4), (v0 à v9) et enfin (v0 à v12), c'est à dire en ayant considéré v5 à v10 comme une seule et même vague ayant duré une dizaine d'années ! Qu'est-ce qui justifie cette concaténation de 5 à 6 pics ? Voilà un "rafraichissement" des connaissance du système de contrôle allégué qui dure bien longtemps !

Ensuite, l'auteur retrouve une autre courbe exponentielle, mais au prix d'une gymnastique sur laquelle je me suis arrêté, et qui n'est pas justifiée en ce sens qu'aucune raison ou critère nous explique le pourquoi de ces choix pris et périodes retenues. Si bien que là encore, le résultat me paraît non-probant à quoi que ce soit, sinon qu'à force de piocher dans les intervalles et dans les données, on va tomber au bout d'un moment sur la tendance qu'attend justement le chercheur. Mais à quel prix pour en arriver là, eu égard à l'échantillon de départ ?

En conclusion, et en laissant bon nombre de soucis méthodologiques, même avec l'opérationnalisation "curieuse" de la variable "vague d'OVNI", les courbes exponentielles pouvant assoir l'hypothèse selon laquelle "le phénomène OVNI se comporterait alors comme un système de supervision qui favorise l'apprentissage (l'acculturation) du réseau social humain", sont vraiment obtenues de façon ad hoc, arbitraire, en éliminant pics, cas, périodes et "vagues", et donc au prix d'un "bidouillage" intentionnel ou non.

Cette étude ne m'a pas convaincu le moins du monde (pour rester courtois) et je pense qu'elle ne passerait aucun processus de "peer-review" au sein d'une revue "Mainstream".

Mon prochain billet devrait être consacré sur la question du niveau d'étrangeté ou du très haut niveau d'étrangeté au sein de (certains) récits d'OVNI comme un bon argument, ou non, pour assoir des hypothèses "exotiques".

Gilles Fernandez